« Ma grâce te suffit » 2 Cor. 12-9
C’est une « relecture théologique » qui m’est demandée. Le travail de chacun des historiens s’est déployé en fonction d’un point de vue précis, pour mettre en lumière différents éléments de la riche expérience du Père Fournet ; ceci, grâce à une recherche sur les documents disponibles qui a conduit à revisiter certaines traditions hagiographiques, voire à critiquer les travaux de biographes qui ont pu se livrer à des entreprises quelque peu intéressées et déformantes.
Un tel projet de travail critique, soutenu par une quête exigeante de vérité, indique déjà un type d’attitude éthique mais également spirituelle
Il revient à une relecture théologique de mettre en relief les enjeux d’une expérience particulière, en rapport avec l’héritage de la foi chrétienne, de telle manière que ce parcours original puisse être leçon de vie pour nous aujourd’hui.
Il nous faut scrupuleusement respecter la différence entre l’époque du Père Fournet et la nôtre. Il ne s’agit pas de récupérer la belle figure spirituelle du Père André, à la manière d’un modèle intemporel, pour y puiser quelques recettes infaillibles. Nous allons simplement envisager comment nous pouvons aujourd’hui rendre grâce à Dieu pour le don qu’il continue de nous faire, notamment par celui qui fut avant tout le curé de St Pierre de Maillé et qui a joué un rôle déterminant dans la naissance de la Congrégation des Filles de la Croix. Cette relecture spirituelle se fait dans le cadre d’une Eglise diocésaine en synode, celle-ci reconnaissant la relation vive et fraternelle qui l’unit à la Congrégation des Filles de la Croix.
Les Filles de la Croix, ce sont des femmes qui donnent leur vie à la suite du Christ, dans le cadre d’une expérience communautaire, et qui veulent attester du rôle joué par le Bon Père dans la fondation de leur institut.
Se voulant fidèles au charisme fondateur, elles cherchent comment témoigner de la foi et servir de manière évangélique leurs frères et sœurs en humanité, en tenant compte des changements de mentalité et de mode de vie. Elles s’interrogent aussi sur la manière d’associer d’autres baptisés au courant spirituel qui les anime, conscientes que le charisme propre de la vie religieuse est, certes, donné à celles et ceux qui sont membres d’un institut, mais pour le bien de l’ensemble de l’Eglise.
Cette expérience toujours actuelle se sait enracinée en un lieu originel.
Considérant les fruits déjà portés, et ceux qui sont appelés à se former, nous retrouvons la fonction fondatrice de grandes figures, tout spécialement celle du Père André. Mais celui-ci nous renvoie fermement au Dieu source de toute vie, au Christ sauveur de tous les hommes ; ce serait trahison de le situer comme un écran qui masquerait la grâce première ou comme un « modèle »intangible qui oblitèrerait la nouveauté toujours actuelle de l’Esprit.
La mémoire du Père Fournet est conservée dans une Eglise diocésaine, tout particulièrement dans les communautés chrétiennes du Poitou oriental. En lui, nous reconnaissons d’abord un prêtre de ce diocèse ; pendant près de 40 ans, il se voulut avant tout et profondément curé, à St Pierre de Maillé.
Prêtre, curé, il le fut au cœur d’une population, et l’image du clandestin habillé en « fagoteur » demeure emblématique d’un ministère de proximité, en communion profonde avec un peuple. Il le fut aussi dans ses relations avec les autres prêtres dont les parcours, en ces temps fort mouvementés, ont été parfois chaotiques. Il le fut encore par l’accompagnement de nombreux jeunes vers le ministère presbytéral.
Ce témoignage, inscrit dans une période particulière, est reçu aujourd’hui dans une Eglise en synode. Une Eglise qui s’interroge à propos des acteurs de l’Évangile, qui cherche à préciser les modalités actuelles de l’exercice de ministères ordonnés. Sans doute sommes-nous sensibles au fait que cette mission de proximité aimante, d’accompagnement patient d’un peuple qui a ses élans et ses lourdeurs, est confiée à tous ceux qui s’efforcent de déployer les potentialités de leur baptême. Il s’agit de discerner ce que l’Esprit dit à l’Eglise, alors que la situation présente et que les perspectives d’avenir ne sont pas plus faciles à décrypter qu’en d’autres temps, alors que l’indifférence domine aujourd’hui, et non la persécution.
Nous nous rappelons aussi que si l’Eglise de Dieu en Poitou a bien une responsabilité particulière pour manifester la mémoire d’un prêtre de ce diocèse, elle porte cette heureuse charge au nom de l’Eglise universelle qui a reconnu en lui un « saint », c’est à dire une figure exemplaire qui invite à vivre aujourd’hui la fidélité au Christ.
Notons tout d’abord qu’on ne peut proposer de partager la démarche chrétienne que dans la mesure où on se laisse déplacer, bousculer, et reconstruire par l’expérience d’une foi inscrite au cœur d’une histoire concrète. A propos du prêtre André, nous savons que le clergé de la fin du XVIIIe siècle était généralement animé par un véritable esprit apostolique, mais nous savons aussi que la fonction sociale de « curé » assurait à son titulaire une place de « notable ». Il s’est inscrit dans cette époque, à l’image d’une tradition familiale incarnée par quatre oncles prêtres. Mais, déjà, la rencontre des pauvres avait questionné un certain mode de vie. Et la bourrasque révolutionnaire a mis à rude épreuve une figure quelque peu installée du curé de paroisse.
Il ne s’agit point pour nous, aujourd’hui, de porter avec morgue le jugement définitif de ceux qui savent le sens et la fin de l’histoire. Il s’agit de repérer quelques signes qui nous stimulent pour que nous adhérions plus vivement à l’esprit évangélique.
Dans une période troublée, en des temps mouvementés, la décision judicieuse se présente rarement sous le signe de l’évidence. Le Père Fournet a dû prendre des options, assumer des risques : refuser le serment demandé au clergé, partir en exil à Los Arcos, revenir sur ses terres alors que les dangers étaient encore importants, accepter le Concordat et prêter le serment qui l’accompagnait.
Il a émis un jugement en situation, fidèle à l’appel de l’Esprit, au cœur d’évènements troubles. Il a appris à donner sa vie jour après jour, à accorder sa confiance, à devenir le « Bon Père », au lieu de gémir en se rappelant le relatif confort des années de jeunesse. D’autre part, il n’a pas argué de ses propres décisions pour accabler des confrères qui avaient pris des orientations différentes des siennes. On chercherait en vain en son histoire un projet de carrière, notamment après son exil, ou même un programme fondateur.
Il a pris une part déterminante dans la fondation des Filles de la Croix, sans projeter un schéma préétabli, sans chercher à occuper seul le lieu de l’origine.
Le long processus de naissance de ce qui deviendra la Congrégation des Filles de la Croix est bien à comprendre comme une série d’initiatives prises au nom de la foi, pour que l’expérience chrétienne porte des fruits évangéliques en un temps et en un lieu particulier.
Nous pouvons retenir que cette aventure de la foi se manifeste d’abord comme le service du développement de personnes marquées par la pauvreté ; mais ce déploiement de l’humain comprend aussi la capacité à accueillir la foi et à en vivre.
Aussi, la fidélité au Christ prend corps dans les soins et l’éducation, qui sont largement prodigués, mais également dans la catéchèse des enfants et le service de la prière dans des paroisses sans prêtres résidents.
Selon l’esprit de l’Evangile, les pauvres ne sont pas l’objet de la sollicitude de ceux qui disposent du savoir et du pouvoir ; ils sont les destinataires privilégiés de la Bonne Nouvelle.
Pour accomplir de telles missions, la confiance est accordée d’abord à des femmes, à des filles de la région – puis de différentes origines- au nom de leur compétence baptismale. Nous retrouvons là l’audace de la foi : ces femmes sont bien aptes à prendre leur part de la renaissance de l’Eglise et, d’un même mouvement, à contribuer au développement d’une société plus attentive aux êtres humains les plus fragiles. Il s’agit avant tout de témoigner d’un Dieu qui est venu demeurer parmi les hommes. La foi prend aussi figure dans la confiance mise dans le dynamisme des paroissiens, des laïcs, femmes et hommes, qui sont reconnus dans leur aptitude à organiser la prière, à lire en leur langue les textes liturgiques, à manifester la charité du Christ.
Aujourd’hui comme hier, en des temps difficiles – mais les temps apparemment plus faciles risquent toujours d’assoupir les consciences - l’Eglise du Christ est appelée à demeurer fidèle à sa mission, non en se recroquevillant sur ses problèmes institutionnels, mais en demeurant attentive aux besoins et aux aspirations des hommes et des femmes de son temps.
Avec le Père André, nous recueillons avant tout un témoignage de disponibilité spirituelle. En effet, le don de l’Esprit ne fait défaut à aucun lieu, à aucune époque. Mais il ne peut porter des fruits que si des consciences humaines savent demeurer critiques tant à l’égard des idéologies les plus communes que des habitudes trop bien ancrées, de manière à se laisser Retenons deux critères d’évaluation, dans la ligne spirituelle du Père Fournet telle qu’elle se trouve mise en lumière en cette journée :
« Ma grâce te suffit » Alors que nous ravivons la mémoire de Saint André-Hubert Fournet nous pouvons retenir cette injonction du Seigneur adressée à l’Apôtre. Voici une belle invitation à la confiance, en ce temps qui est le nôtre, en cette Eglise dont nous sommes les membres, afin que nous vivions la fidélité à la foi reçue, dans l’audace créatrice.