Filles de la croix

Saint André-Hubert FOURNET, un  « prêtre diocésain »

Père A. de SAGAZAN, Supérieur du Séminaire de Poitiers

 

les conditions de vie des prêtres étaient fort misérables. Beaucoup de prêtres se retirent dans leur famille pour survivre. J. Saubat parle de « misère ».Le préfet de la Vienne, le 22 octobre 1806, déclare : «  quel est le père assez insensé pour dépenser beaucoup d’argent à l’instruction de ses enfants, qui les destinerait à un état sans considération et qui n’offre même pas la satisfaction des premiers besoins de la vie ? »

 

« Le mal dominant d’alors, le sujet d’épouvante pour ceux qui présidaient à nos églises, c’était la perspective de l’extinction prochaine du sacerdoce. Les infirmités et la vieillesse achevaient d’enlever ceux que la guillotine avait épargnés et qui avaient survécu aux souffrances de l’exil ».

 

Le Père André-Hubert Fournet connaît l’état des lieux, leurs ruines et leurs misères. Mais il n’y va pas seulement de l’état des prêtres séculiers, il y va de l’état moral, économique, religieux, des gens du Poitou, fort affectés par la tourmente révolutionnaire. L’échafaud, l’exil, la prison ont « purifié » violemment la fonction sacerdotale. Perdre les deux tiers de ses prêtres pulvérise le modèle des 752 paroisses de l’Ancien Régime avec chacune son curé et ses vicaires.

 

La première mission du Bon Père sera le recrutement de futurs prêtres. Mais où ? Dans les familles nobles et bourgeoises comme avant ? Les bénéfices se transmettant d’oncle à neveu.

Dans les familles d’artisans, de paysans, familles chrétiennes, simples ? Mais comment les former puisqu’il n’y a plus de séminaire ? Sur le terrain, auprès des curés, dans les presbytères ?

 

 

Deux interrogations pour notre saint prêtre du Poitou :

Comment relever le clergé local, le soutenir, le fortifier au lendemain de la révolution ?

Comment saisir le défi de la formation d’une nouvelle génération de clercs ? de pasteurs ?

 

«  C’est avec ces scories de la désertion et de l’institution cléricales, amalgamées avec les débris du clergé fidèle décimé par les proscriptions et les supplices, par la vieillesse et par la mort, qu’il fallait refaire, au moment du concordat, un clergé suffisant pour répondre aux besoins religieux les plus urgents et pour réparer tant bien que mal les ruines les plus lamentables accumulées par le cyclone révolutionnaire, qui commençait à peine à s’apaiser ».

 

C’est un presbyterium affaibli, divisé, blessé, qui apparaît à l’heure du Concordat : …      constitutionnels, assermentés, réfractaires, exilés, concordataires, anti-concordataires...

 

Le Bon Père écrit à Monsieur Bertrand : «  ce qui doit vous consoler, mon cher ami, c’est que Dieu ne demandera pas le succès mais les soins d’un charitable pasteur. »

Il reçoit de ses supérieurs, dès 1806, avec la mise en place de retraites ecclésiastiques, la mission de rejoindre les confrères pour favoriser la pratique de la fraternité sacerdotale.

Il exhorte les frères « indignes »

 

le contenu de ces correspondances, selon Rigaud, est composé d’avis donnés entre autres pour la direction personnelle : «  justus ex fide vivit  (…) vous réfléchirez avant d’agir et de parler (…) vous entrerez souvent en vous-même, pour y voir et adorer la Sainte Trinité ; vous serez moins extérieur partout ; votre conversation intérieure sera avec Dieu, et l’extérieur de Dieu ; vous vous conserverez dans la dépendance de Dieu et l’application à sa présence ; vous tâcherez de demeurez dans votre paroisse, (…) caché, détaché comme y demeure Notre Seigneur Jésus Christ ; vous éviterez les compagnies, visites, conversations inutiles ; vous êtes tout à Dieu et tout au peuple ; à Dieu par le sacrifice et l’oraison, au peuple par l’enseignement et la dispensation des choses saintes ».

 

la formation : A l’époque des fondations missionnaires apostoliques, André-Hubert Fournet envisage une association de prêtres séculiers d’abord associés aux Filles de la Croix.

Il rédige une sorte de charte de   Pratiques intérieures et extérieures des ecclésiastiques associés aux pauvres filles de la Croix : Qui mihi ministrat, me sequatur … que celui qui me sert m’imite.

Pour obéir à cette maxime de Notre Seigneur, nous tâcherons d’occuper notre âme des mêmes pensées qui occupent l’âme de Notre Seigneur dans le sacrement de son amour, d’avoir les mêmes pensées, les mêmes désirs, les mêmes intentions, les mêmes dispositions que Lui.

 

 

Nous vivrons de la vie de la foi et nous veillerons en tous temps, pour ne pas perdre la présence du Saint Esprit en nous. Pour cela nous serons intérieurs, recueillis et crucifiés, de manière à être à notre tour les agneaux et les victimes de Dieu, faisant toutes nos actions en union avec Notre Seigneur Jésus crucifié, avec une élévation de cœur à Dieu, en sa présence et pour lui plaire.

A l’imitation de notre Père et Patron St André, nous entretiendrons dans notre cœur un saint désir de la croix et nous tâcherons en portant notre croix, tous les jours, d’être une lumière qui porte dans les âmes l’amour de la Croix et du divin Crucifié. Pour cela, nous serons morts et vivants en tout et pour tout afin de ne point nous conformer au monde mais à notre divin modèle.

Chaque associé rappellera à son souvenir et s’efforcera de faire entrer dans son cœur cette maxime de l’Esprit Saint : « mihi mundus crucifixus est, ego mundo ».

Pour en obtenir la grâce, au moins le troisième vendredi de chaque mois, on dira l’oraison qui se trouve à l’office de St André, avec un Pater et un Ave. »

 

Saubat, dans son ouvrage, reprend le « Règlement provisoire pour les Pauvres Enfants et Pères de la Croix ».

                Il s’agit de propos spirituels sur «  la conduite intérieure toute personnelle et la conduite extérieure » « le fondement doctrinal, le programme de l’institution nouvelle est le Divin Modèle qui se présente sur la Croix : la fin à atteindre pour être disciple de la Croix est la réalisation la plus parfaite du Modèle par une vie aussi semblable que possible à celle de Notre Seigneur Jésus Christ. (…). Après la sanctification personnelle, le but de l’Association est l’instruction des pauvres, le service des malades. »

 

L’escalier du pauvre eut des conséquences profondes et durables chez notre Bon Père, à commencer par ses prédications transformées. Simplicité et vérité d’abord. Monseigneur Cousseau nous précise que «  l’homme disparaissait ainsi tout entier, il ne restait plus que l’Esprit de Jésus Christ parlant et agissant dans son fidèle ministre. »

Dans ses conférences spirituelles et ses retraites ecclésiastiques, le Bon Père développera l’enseignement de la Croix,  l’adoration eucharistique.

 

 

 

Qu’en est-il des jeunes clercs, des « Enfants du Bon Père », de la relève ?

 

Le Père André-Hubert visite les familles pauvres, simples dirons-nous aujourd’hui. Ce ne sont pas des familles miséreuses.

Après son retour en 1797, il porte la blouse des paysans ; il se déguise en « fagoteur », une serpe à la main ou une fourche sur l’épaule !

C’est l’époque où les familles riches n’envoient plus les jeunes en vue de la prêtrise : ni statut social, ni revenus garantis ; ça ne rapporte plus !

Le Bon Père donc visite des familles chrétiennes, humbles, où foi et vertus sont vivantes. Il donne les premières leçons pour exercer leur intelligence, d’abord le français, le latin ensuite.

Au presbytère de Maillé, paroisse « l’une des plus grandes du diocèse » avec 8 lieues de circonférence et 2000 âmes !

 

A l’Aumônerie de La Puye, les « jeunes clercs » reçoivent les rudiments d’une formation cléricale. Une quinzaine d’entre eux vivent leurs vacances studieuses à La Puye, le témoignage de l’abbé Forget l’atteste.  (Saubat p. 242). Le Bon Père en prenait chez lui pour les exercices de piété.

Auprès des pasteurs, sur le terrain, en proximité, les jeunes recevaient une éducation complète.

                Après cette première étape de formation, les « Enfants du Bon Père » rejoignaient soit quelque école cléricale de Poitiers, soit allaient au Petit Séminaire de Bressuire, ou de Montmorillon. ( ce dernier ouvre en 1807).

A Poitiers, plusieurs vont à la « Grand’ Maison » chez le Père Coudrin. M. Hippolyte Delaunay ( de Thénezay) est nommé supérieur de l’établissement.

André-Hubert suit ses élèves. Il écrit le 22 avril 1822 à l’un d’eux de la Grand’Maison (Saubat p. 236-237). Le père André intervient en sa faveur. Le jeune Fiot connaîtra le Petit Séminaire de St Maixent après un an à l’école cléricale.

On repère 32 prêtres connus, élèves du Bon Père, qui seront suivis attentivement par lui-même.

Qui paie la formation ? l’évêque avec M. de Moussac, mais aussi la paroisse de Maillé, les amis de Poitiers, les directeurs d’écoles ; tous participent généreusement à ce défi de la formation des jeunes clercs.

Sans doute, le Père André mise sur les pauvres pour l’évangélisation des pauvres !

 

 

 

Humble,  « misérable », dira-t-il de lui-même dans « l’escalier de l’adoration », il appelle des enfants simples et droits, d’une foi chrétienne authentique pour une mission qu’il juge urgente auprès des campagnes.

 

 

  • André-Hubert Fournet est fort attaché à son peuple «  bon pasteur ». Il aime ses ouailles comme le Christ. Il préfère les plus pauvres, les plus simples, et visitera aussi ses persécuteurs d’hier.
  • André-Hubert Fournet vit la fraternité sacerdotale très tôt dans son ministère et la développe. Le lien aux frères prêtres et à l’évêque c’est tout un. En pleine tourmente et en temps de paix, il a la même attitude.
  • André-Hubert Fournet appelle les jeunes à partir des besoins de l’Eglise concordataire. Les bénéfices ne sont plus. La passation des charges d’oncle à neveu n’existe plus.

Son amour des gens, sa fraternité sacerdotale, son élan missionnaire, il les puise dans une conversion incessante, dans un désencombrement progressif,  de l’escalier du pauvre à l’exil, de Maillé à La Puye, du retour à Poitiers en 1797 lors de la persécution, du Directoire à sa mort.

 

André-Hubert a 50 ans en 1802. Son œuvre auprès des prêtres pour reconstruire le presbyterium déchiré, son labeur incessant auprès des jeunes clercs sans oublier la fondation et l’accompagnement quotidien des Filles de la Croix, vont se développer jusqu’à sa mort en 1834. Il a 82 ans.

 

        «  Je voudrais m’en aller au ciel dit-il en riant, mais mes filles m’enchaînent à la terre avec leur chapelet ! »

 

L’hiver 1834 est fort doux. Au retour du printemps, André-Hubert ramasse toute son énergie et toute sa vigueur et se fait conduire à l’Eucharistie par un vieux domestique. Au sortir de l’église, inondée par le soleil de mai, il s’écrie : «  oh, Beau Soleil, si on savait mieux apprécier ta beauté ! »

       Le 13 mai 1834, à 9 heures du matin, André-Hubert ouvre ses yeux au Soleil sans déclin.

 

 

Soleil couchant

                                                                               Tu soulignes ton feu

                                                                               De traits fougueux

                                                                               Comme ratures

                                                                               Sur brouillon de ciel !

 

                                                               Derrière les grands chênes

                                                                               Tu glisses, avec langueur,

                                                                               Tu t’effaces et comme une mèche

                                                                               Qui s’éteint enfin !                                                                             Le jour t’ensevelit.

 

                                                               Attends demain.

                                                                               Il y eut un soir,

                                                                               Il y aura un matin.   

  1. de Sagazan La Puye 7 Août  2002

Saint André-Hubert FOURNET, un  « prêtre diocésain »

Document complet du Père A. de Sagazan