Filles de la croix

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En Côte D'Ivoire...
Feb 11, 2013

Récit d’un jour de guerre …

Une veillée à la paroisse du Sacré Cœur de Boniéré, Diocèse de Katiola, Côte d’Ivoire…

Boniéré est une petite ville située au nord de la Côte d’Ivoire.

Sa population, majoritairement paysanne et animiste est à sa première évangélisation.

La petite communauté chrétienne entourée de musulmans et d’autres confessions cohabite bien dans le respect des uns et des autres jusqu’aux jours tristes de la guerre qui a semé dans les cœurs la méfiance et la division.

L’Église Catholique à travers ses serviteurs, au nom du Seigneur, cherche d’être cette petite lumière d’espoir, de la présence de « Dieu avec son peuple » par la simple présence et le service quotidien auprès des pauvres et des sans voix.

 Ce jour du 22 Février 2003, soixante (60) personnes armées jusqu’aux dents entrent dans la cour de la paroisse pour s’emparer du véhicule qui servait pour le transport des malades et les urgences. Le curé et son vicaire sont réveillés par des coups de feu bien nourris. Les religieuses alertées se dirigent en hâte vers l’Église, lorsque nous nous rencontrons avec les pères escortés par la bande armée. En quelques mots le curé nous explique la situation. Quelques voisins nous ont rejoints.  Les rebelles impatients et violents refusent toutes les propositions. Nous n’avons pas d’autres choix : c’est la vie ou la mort.

Il est minuit, les mains levées vers le ciel, nous marchons dans le silence de la nuit vers l’Église. Les deux séminaristes en stage se détachent de la procession, l’un pour ouvrir les portes de l’Église et l’autre pour sonner les cloches. Réveillés de leur sommeil, ils arrivent de partout hommes, femmes, jeunes, enfants, chrétiens de tout bord, musulmans, animistes… et aussi des villages voisins. Ils sont là, enfants d’un même père dans la maison de notre « Père » Dieu. La chorale se met en place et par des cantiques bien soutenus invite chacun à danser et proclamer la joie pascale.

L’Église trop petite pour l’occasion ne peut plus contenir le monde. La cour regorge de monde aussi. Les hommes armés sont à peine visibles. Toute l’assemblée chante et danse pour son Dieu : « Il est là, vraiment là, il est vraiment là l’Esprit Saint de Dieu, la crainte a disparu du cœur des témoins de Jésus. Venez, venez les écouter.» Après ce chant, le curé donne la nouvelle à tous en ces termes : « Soyez les bienvenus en l’Église du Sacré Cœur de Boniéré à cette heure inhabituelle. A minuit, nous avons eu la visite de nos amis armés qui sont autour de l’Église. Ils veulent prendre le véhicule de service pour les urgences qui nous reste dans le secteur. Nous leur avons demandé d’attendre la lumière du jour afin qu’on trouve une solution mais ils ne veulent rien entendre et nous menacent. Alors nous sommes venus dans la Maison du Seigneur pour nous confier à notre Père, lui qui nous donne la vie. Chantons et dansons car il est vraiment là dans cette nuit avec nous Chrétiens de Boniéré.

La veillée a continué jusqu’à six heures du matin, l’heure habituelle de la messe. Au moment de la prière du Notre Père, le curé a invité chacun à tenir la main de son prochain et à prier les paroles du notre Père en pensant à tous ceux qui nous ont fait du mal et à ceux à qui nous avons fait du tort et ensuite à poser un geste ou à dire une parole de réconciliation. Ce fut un moment très émouvant où joies et pleurs s’entremêlent. Nous étions tous frères, les bons et les méchants, réunis dans la même maison et autour de la même table, aimés du même amour.

Le chef de la bande armée a demandé pardon à tous et a signé un laisser passer pour l’Église.

Après un temps d’action de grâce, chacun est rentré chez lui dans la joie.

Cette veillée improvisée est arrivée dans un contexte inhabituel de guerre et de pillage mais elle était habitée par la vie chrétienne d’une population en quête de Dieu, du vrai Dieu qui sauve, le Dieu de la paix.

Cette nuit a été profondément marquée par le mystère pascal où nous avons célébré la mort et la vie avec tous nos frères réunis dans la même maison, autour d’une même table, un même sacrifice offert pour tous. Le Christ sur la Croix s’est livré pour les bons et les méchants, les musulmans et les non chrétiens. C’était la découverte pour tous, à travers le geste du pardon, du visage de Dieu qui est au-dessus de tous les bois sacrés et les mosquées.

Après cette veillée, beaucoup de gens se sont convertis au christianisme. Ceux qui avaient abandonné la pratique de la religion sont revenus à l’Église. Beaucoup de relations se sont tissées avec les autres confessions. Puis beaucoup d’actions ont été menées ensemble et cela a occasionné  la construction du clocher de l’Église à laquelle tout le monde a participé.

C’est vrai, il y a eu des moments durs, de peur. Mais n’est-ce pas là le témoignage de notre foi ? La marche du peuple d’Israël conduit par Moïse ? L’espérance des chrétiens de Boniéré, à l’image de l’Église en marche la nuit de pâques, a transformé le cœur des uns et des autres en amour, les ennemis en frères, marchant ensemble vers la réconciliation.

Cette situation surprenante et inattendue, nous a tous réveillés et conduits vers notre « bois sacré » : l’Église ouverte à tous et le son du « tam-tam parleur », les cloches qui ont donné la nouvelle. Ensuite le geste de demande de pardon et de paix et l’Eucharistie célébrée qui est le sacrifice par excellence offert pour tous.

C’est témoigner à tous que Dieu est amour et qu’il nous appelle là où nous sommes avec ce que nous sommes et ce que nous avons. Dieu construit une fraternité au-delà des religions, des ethnies…

Le Sénoufo, (Ethnie ivoirienne), est très attaché à sa tradition. Devant toute circonstance heureuse ou malheureuse, il va chercher la protection dans les bois sacrés, le tam-tam parleur, auprès des divinités qu’il s’est lui-même fabriquées en offrant le poulet qui va apporter la paix et le bonheur au clan. Mais, cette nuit l’église paroissiale s’était transformée en « bois sacré » devenant ainsi le lieu sacrificiel par excellence.

Sœur Sylvie Coulibaly Pélarwohi

Fille de la Croix